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La comédie psychologique

          S’il faut situer Marivaux (1688-1763) dans le genre comique, on le situe entre Molière (1622-1673) et Beaumarchais (1732-1799). À son époque, la tradition est la comédie de caractères. Genre initié par Molière, il consiste à prendre un défaut de la nature humaine, l’amplifier et le dénoncer. Souvent, on retrouve ce caractère à même le titre comme par exemple : L’avare, Le tartuffe, Le malade imaginaire, etc. Marivaux, tentant de s’éloigner de Molière, crée une comédie « psychologique ». Les actions y sont moins présentes, ce sont le dialogue, les jeux psychologiques et la critique des mœurs qui prévalent.

 

 

De plus, l’humour n’y joue pas le même rôle. Plutôt que de rire de l’exagération des

traits, on rit du pétrin dans lequel se mettent eux-mêmes les personnages. En

revanche, la comédie « psychologique » de Marivaux met en scène des personnages

qui réfléchissent énormément sur leurs propres agissements et l’impact qu’ils

causent. Le discours et les actions s’entrechoquent. C’est ce qui crée le rire,

on assiste à de nombreuses contradictions entre les objectifs et les moyens pris

pour les réaliser. 

 

        La tension entre les désirs intérieurs et l’apparence extérieure laisse, parfois, entrevoir l’essence des personnages. Les masques tombent lorsque les sentiments prennent le dessus sur la raison.  Cette abolition des masques, présente chez Marivaux, servira directement à Beaumarchais. Ce dernier  y ajoutera les notion d’émancipation et de liberté. Son personnage de Figaro, dans Le mariage de Figaro, incarne le goût de la liberté tout en dénonçant ardemment l’hypocrisie. 

 

       Pierre Carlet de Marivaux écrit Le legs en 1736 et Les sincères en 1739. Le contexte socio-politique dans lequel il écrit ses pièces n’est pas anodin. Le Grand Siècle s’est terminé en 1715, Marivaux oeuvre en plein Siècle Des Lumières. Ce mouvement intellectuel prône les nouvelles connaissances et le partage des découvertes scientifiques. À cet époque, Marivaux tente de rompre avec les vieilles conventions et ouvrir la porte au renouveau de la comédie. Ses personnages sont à la fois auteurs et victimes de leurs agissements, ce qui engendre plusieurs quiproquos. Au final, le retour à l’harmonie sociale passe par l’amour et la spontanéité plutôt que par une condamnation d’un caractère comme chez Molière. Marivaux crée des personnages qui s’embrouillent entre eux, malgré eux.  

 

      Catherine Vidal utilise l’image d’une partie de poker où les multiples stratégies employées par les joueurs les forcent à mettre rapidement cartes sur table.  Ils ne choisissent pas les cartes et s’ils s’organisent pour préparer d’avance la partie, ils sont déjoués par les hasards de la vie. C’est lors de ces imprévus que les masques tombent. Puisant sa force dans le double sens et les contradictions, le théâtre de Marivaux donne aux valets une place de choix. Jean Rousset, critique littéraire suisse, distingue deux sortes de personnages : les « cœurs aveugles » et les « personnages latéraux »[1]. Les valets sont des personnages latéraux qui partagent le même degré de conscience d’un spectateur. Autant dans Les sincères que dans Le legs, ils sont ceux qui usent de stratagèmes pour déjouer les alliances qui seraient contraire à l’ordre naturel des choses. Chaque personnage baigne dans une multitude de contradictions personnelles. C’est donc un combat avec ses obstacles intérieurs qui s’enclenche. Cette opposition entre rationalité (le choix de la raison pour paraître convenable) et passion (les sentiments naturels) offre une réflexion sur les actants de la société à laquelle appartenait l’auteur. 

[1]Jean Rousset, « Marivaux ou la structure du double registre », Forme et signification, Paris, Corti, 1963, p. 45- 64. 

Complément de réflexion : https://www.erudit.org/culture/jeu1060667/jeu1073308/28169ac.pdf 

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